Merci pour la qualité du débat. O0 Mais je ne vais pas aussi vite que vous pour répondre... dsl, les journées sont chargées ;D
Pour essayer de répondre en quelques lignes :
Tomtom a écrit :C'est un mauvais exemple. Ton plombier, c'est un technicien. Il sait faire les bons choix parce qu'il maîtrise les techniques de plomberie. Un architecte est, fort heureusement, formé à des considérations techniques lui aussi. Il sait faire une maison qui tienne, qui consomme peu d'énergie... Dés que l'on rentre dans des considérations qui soient autre que techniques, c'est-à-dire, simplement, dans l'architecture, les choses deviennent plus floues et beaucoup moins stables et, en tout cas, en dehors d'un savoir établi. On sait mesurer l'efficacité thermique d'une maison, mais c'est quoi un espace agréable? La plupart du temps, la théorie camoufle mal l'opinion, opinion certes bien cachée derrière le vernis professionnel, celui qui assure l'autorité à l'extérieur, et s'insère dans réseau de "pensée" parmi ceux qui se préoccupent des mêmes choses. Mais on aurait tort de mettre ces choses dans le même panier.
On a également tort aussi quand on considère qu'il n'y a qu'une seule façon d'être architecte, et encore plus, quand on lui refuse arbitrairement le droit d'utiliser sa culture et sa formation pour régler simultanément l'incroyable empilement de paramètres à prendre en compte avant de tirer un trait, d'élaborer un concept, de proposer un projet et une image, et surtout de la mener au terme de la réalisation...
Aucun autre métier ne rend apte à envisager tous les aspects liés à l'acte de construire. On peut toujours, en tant qu'amateur éclairé (au mieux) ou en tant que cousin du beau frère du collègue de bureau qui connait quelqu'un "qui est dans le bâtiment" (schéma cauchemardesque et fréquent que l'on doit aussi se respirer) imaginer, disserter, monter des scénars d'aménagement et des mises en scène : ça ne s'improvise pas.
Quant au fait de rentrer dans des considérations autres que techniques : oui, justement, tout ne rentre pas dans des jolies cases bien calibrées, sous tableur et en couleur pour trouver des réponses. La technique, on saura toujours faire, il y a plein de gens compétents (quoique : il y a aussi beaucoup de bon vendeurs... pas forcément compétents, et quand on s'en rend compte, il est bien tard. Le nombre de c.... techniques pour lesquelles l'architecte doit passer son temps à faire revenir à la normale !)
Tomtom a écrit :Soit, mais là où je tique, c'est qu'il n'y a aucune légitimité à penser que des architectes sont compétents pour penser la ville, et par dessus tout qu'il s'en arrogent le monopole. C'est malheureusement la tragédie du Grand Paris. Je rejoins BBArchi sur l'esbroufe des belles images, mais il y a tout de même des projets véritablement intéressants, qui témoignent d'une capacité à penser la complexité des phénomènes urbains et territoriaux. Malheureusement, ça passe très mal sur une perspective. Qu'est-ce qui te fait penser que les architectes sont compétents pour penser la ville? Renseigne-toi sur le programme qu'ils suivent à l'école... Tu verras que, à part quelques exceptions, qui en général sont orientées vers l'urbanisme opérationnel (ce qui n'assure aucun garantie qu'on développe une capacité à penser, juste celle de se couler dans les pratiques), avec une pincée de sociologie un peu indigne, il a une offre de formation très restreinte vers la ville et le territoire, quand on ne cache pas ça derrière une couche de "poésie".
L'architecte, c'est celui qui apporte aussi un regard un peu moins pointu dans un domaine, mais qui a la sensibilité, et qui est formé pour cela, pour faire s'emboiter des paramètres aussi divers, opposés, incompatibles, voire tendancieux que l'économique, le technique, l'esthétique, le règlementaire, le normatif, entrelardés d'une bonne dose de parti pris, de marottes, d'idées fixes, d'images véhiculées à tort ou à raison par les intervenants du projet, de considérations politiques ou familiales, etc... C'est un généraliste au sens noble du terme.
il n'y a aucune légitimité à penser que des architectes sont compétents pour penser la villeBen... :-\
Trouves moi un autre acteur économique capable de faire cette prestation ? Alors en attendant de le trouver, "on fait avec".
Ceci dit, je te rassure, tu n'es pas un cas isolé, et c'est une réflexion très fréquente... avec souvent derrière, des "appétits" économiques : du fait de notre exigence (assez répandue malgré les clichés) on est très souvent considérés comme des emmerdeurs qui empèchent d'alléger les prestations en rond pour la même facture. Si on pouvait aussi se passer de nous, ce serait tout bénef... économique, mais après, faudra pas venir pleurer que la ville est moche...
;D
(Au passage, je conseille à tous de ne pas aller chez un dentiste pour se faire soigner la rage de dents : un bonne perceuse (de préférence à percussion), une visseuse, un peu de colle et de mortier, du papier de verre pour faire briller, et hop, on s'occupe soi-même le dimanche ...
:) :) :) )
Sa formation, comme toute formation, est un point de départ. Dans les écoles d'architecture, comme dans toutes les autres écoles, on apprend non pas à utiliser de façon primaire une bibliothèque, mais à construire des rayonnages dans sa cervelle, pour y ranger tous les livres et toutes les expériences auxquels on va se trouver confronté. Chaque architecte va donc construire sa propre bibliothèque, selon ses appétits.
Et suivant les écoles, on y trouve une orientation différente, une sensibilité différente ; pour celle de Lyon, au menu : architecture, urbanisme, environnement, tous les aspects de la conception sont abordés. Et après, ce sont les qualités de chacun qui jouent...
Tomtom a écrit :Ce que je veux dire, c'est qu'il y a un culte de l'ambiance, qui tourne autour de l'idée de l'essence d'un lieu donné, dans sa singularité. Le champ sémantique de la poésie est significativement usé jusqu'à la corde en ce sens. Perdu, parce que corrompu par tant de textes d'auteurs "architectes" qui ne sont jamais demandé ce que la poésie ouvrait comme rapport au langage par exemple. On préfère faire appel au lieu commun. Mais je crois que ça procède aussi de la tension, fatale, entre des conditions opérationnelles difficiles pour les projets d'architecture, la concurrence par l'indigne procédé du "concours", la nécessité de s'adresser à des gens qui n'ont une culture de la ville et de l'architecture que très embryonnaire, voire à la limite du néant, et la volonté de se tirer vers des cieux plus hauts, que cela passe par l'idée qu'on se fait de l'intellectuel qui "pense" l'urbain, de l'artiste, ou du poète.
Bref, ce qui me semble dangereux, très dangereux, dans cette utopie de l'ambiance, c'est qu'elle est une porte ouverte vers l'essentialisation. Et que même avec les meilleurs intentions du monde, tôt ou tard, elle finit toujours par chuter. Il y a aussi, beaucoup de romantisme décanté dans les fascismes du 20ème siècle.
Mais au fait, le culte "de l'ambiance", "l'utopie de l'ambiance" sont véhiculés par quels canaux ? Et sont diffusés comment ? Sorti des rares publications professionnelles, on ne trouve aucun relai pour essayer de faire partager un minimum d'outils communs ; ce qui permettrait un échange d'idées et de concepts entre professionnels et non-professionnels.
Le résultat est très simple : dès qu'on sort du crédo de ces publications, c'est l'inconnu. Et ce qui est inconnu n'existe pas. Les rares sensibilités présentes pour juger un projet dans un concours manquent donc de repères suffisants pour "oser prendre des risques", alors qu'ils sont minimes. C'est un cercle vicieux : on ne publie que le projet qui est retenu, et qui devient un repère à son tour en reprenant les mêmes codes.
Auteurs architectes : qui ne se demandent jamais ce que la poésie ouvre au langage par exemple ? Ben si, il y en a. Qui défendent un autre point de vue que le concept de poésie passée au papier de verre marchand. Sauf que pour les raisons citées ci-dessus, ils ne sont pas forcément relayés. Et donc ne sont pas "admis"' à concourir ou à proposer. Et souvent, ils sont un tout petit peu occupés à survivre. Et pourtant, leur pratique quotidienne leur donnerai largement une légitimité pour s'exprimer sur l'urbanisme
et sur l'architecture...
Tomtom a écrit :Oui, oui et oui. Mais a-t-on besoin pour cela du détour vers l'ambiance, ou vers l'authenticité? Non je ne le crois pas.
Moi non plus, et c'est pour cela qu'il est urgent de concevoir "autrement" l'espace urbain et le rapport entre bâtiments et utilisateurs, entre les masses construites et les vides intermédiaires, où doivent s'organiser la respiration et le vivre ensemble. Entre le folklore et ce qu'on nous impose, il y a tout un espace de possibles, à peu près aussi vaste que celui du gris entre le noir et le blanc...
Avant de parler, comme celà est trop souvent dégainé à tout propos, de "poésie", de "qualité d'ambiance", commençons déjà par réintégrer dans la pratique (et dans le discours) la notion de respect mutuel entre le bâtiment ou l'aménagement, et ses utilisateurs. Si cette condition n'est pas mise en oeuvre par la totalité des intervenants, il est parfaitement cynique d'imaginer avoir "fait correctement son job".
Tomtom a écrit :Et il y a aussi un malentendu. Ce n'est certainement pas un projet urbain, aussi subversif soit-il, qui changera quelque chose à un mouvement plus global, et qui se déploie en dehors d'un lieu déterminé, comme "singularité". Le plus que l'on puisse faire, c'est jouer une politique de l'ouverture, c'est-à-dire du projet urbain qui laisse la porte ouverte a son réinvestissement par d'autres logiques, que l'on peut espérer moins commerciales. Mais vouloir "décommercialiser" le deuxième quartier d'affaire de France par un projet urbain, il y a comme un petit décalage entre la fin et les moyens non? C'est l'autre grand malentendu de l'architecture/projet urbain, la surestimation de son effet. Parce que l'on se rend compte que, qu'elle que soit la forme qu'on lui donne, une société qui change trouve à exploiter différemment des espaces déterminés en fonctions d'autres usages. Mais le chemin inverse, du lieu qui détermine l'usage, c'est un grave contre-sens, au mieux une illusion, au pire la porte ouverte à l'essentialisation.
Meuhnon, je n'envisage pas du tout de "décommercialiser" le deuxième quartier d'affaires de France. C'est un "centre commercial
régional", dans la deuxième région de France en poids économique. Donc, pas touche au présupposé de base. >:D mais quand même, repartons de ce qui a été accumulé dans une partie de la ville pour essayer de sortir du poncif "beau = haut = skyline = cher = commerces = trop bien" et tout le reste doit disparaître.
Comme la poule et l'oeuf : le projet urbain influe t-il sur l'existant, ou l'existant conditionne t-il le projet urbain ? A mon sens, les deux sont liés, et nier l'un pour réaliser l'autre est une erreur gravissime. On a "un tout petit peu" eu tendance à l'oublier ces dernières dizaines d'années, et on le paye cher, parce que justement, le produit de cette attitude s'est inscrit lui aussi dans l'existant : il y a maintenant obligation à le prendre en compte du fait que des gens vivent, coexistent, passent une partie de leur temps dans cette somme, et se la sont appropriée ; il est trop tard maintenant pour en faire abstraction.

Quand j'emploie l'image de la tronçonneuse, c'est juste une méthode pour faire réagir : je n'ai pas parlé de démolition totale, ni de la politique de la table rase, ni d'un effacement de tableau à la fin du cours. Je suis persuadé qu'on peut imaginer et mettre en oeuvre une autre approche conceptuelle à la Part Dieu, sans rentrer dans les détails et sans discours bien flambard pour faire beau et surtout faire croire qu'on a de l'idée, et tout ça pour faire évoluer un outil de quarante ans... P... ! Quarante ans !

Tomtom a écrit :
L'utopie, c'est de croire que la ville actuelle est le résultat d'un développement organique, et seulement organique. Sauf qu'en 2009, c'est fini depuis bien longtemps, le marchand a pris le pas sur le hasard.
Personne n'a jamais cru qu'elle ne le fût jamais, si je ne m'abuse, à part les représentants de quelques mouvances de l'histoire de l'architecture. Et puis organique ça veut dire quoi? Que la ville pousse comme ça? Le territoire, depuis qu'il est géré, est toujours le produit de réseaux de pouvoirs qui s'entremêlent, de manière complexe, et pas seulement le fruit d'une logique qui n'irait que dans un seul sens, la ville contemporaine pas plus qu'une autre. Tout caser derrière le "marchand", c'est se crever les yeux pour ne pas voir la complexité des processus à l'oeuvre, qui se déploient aussi sur des échelles très différentes, et, in fine, c'est aussi se priver des armes pour le combattre.
Pas d'accord : la ville pousse comme ça au gré des appétits personnels ou corporatistes ; justement, aujourd'hui, la vitesse du processus d'évolution, l'aspect quasi instantané et global des échanges d'information et donc des concepts, le foisonnement des infos disponibles, gomment les subtilités locales (problème de zoom et de hauteur de vue principalement). L'échelle de travail ne permet [s]pas[/s] plus de traiter les détails : il ne reste en gros que la logique marchande
immédiate dans le processus d'évolution de la ville, et elle ne prend pas en compte les autres composantes qui sont vassalisées, voire asservies et détournées de leur fonction. L'art, la culture, le patrimoine historique, l'éducation, la santé, etc... : pour des motifs financiers, tous sont étranglés (et de plus en plus serré) et doivent se mettre au pli, et leurs acteurs avec, même s'ils continuent avec obstination de faire ce en quoi ils croient. C'est une des différences, et elle est de taille.