Bonjour.
Bin oui, j'ai un avis la dessus !

C'est même une grande partie de mon travail.
J'avais l'intention de faire une réponse argumentée et un peu plus développée que 2/3 phrases, mais depuis 2 jours, c'est rock 'n roll permanent à l'agence...
Pour résumer : il est très difficile de faire entendre raison à un maître d'ouvrage (le client) quand il a peu de culture générale. Et c'est plus facile quand le patrimoine le touche de près, et encore plus quand on peut démontrer que l'intérêt de réutiliser tout ou partie de ce patrimoine ne coûte pas énormément plus.
Tu croises également ces paramètres avec l'age moyen de l'interlocuteur (plus il est jeune, et -fait très interessant - plus il est sensible au patrimoine, en général)
Tu rajoutes le fait que dans l'immédiat après guerre des années 50 à 70, tout ce qui avait été fait, construit, entretenu jusque là, a été rangé direct dans la poubelle à vieilleries par de grands intelligents bardés de certitudes. Devenus de dangereux vieillards séniles pour la plupart.
Et on parle de bâtiments, d'architecture, mais pas seulement : cela peut aussi être des infrastructures obsolètes.
Cela peut aussi prendre la forme d'un ensemble urbain autour d'une rue et de bâtiments imbriqués, de façades qui dialoguent entre elles en instaurant un paysage urbain particulier : on a encore quelques exemples, mais en danger de disparition à très court terme, de tissu urbain mêlant bâtiments industriels, petites maisons, collectifs d'habitat modeste du coté de Villeurbanne. On peut tirer un trait sur ces esthétiques, et les remplacer par de jolies boites toutes pareilles, de préférence RT 2012 et HQE / BBC (on n'a pas trop le choix règlementairement) mais on perd au passage ce qui fait la différence entre le cru et l'aseptisé, et on uniformise la ville.
Cela peut aussi prendre la forme de patrimoine à plus petite échelle : ateliers construits autour de techniques particulières, outillages et techniques industrielles, magasins à l'aménagement fragile, qui disparaissent au fur et à mesure de l'évaporation de l'intérêt et des modifications des critères de rentabilité.
Alors oui, il ne faut pas tout garder. Ce serait l'erreur la plus terrible, qui justifierait qu'on balance tout sans discernement au bout d'un moment, par sclérose et ras le bol. Il ne s'agit pas de tout muséifier, et de conserver dans le formol sans possibilité de rentrer dans le décor, en le faisant évoluer.
Dans tout patrimoine, il faut savoir détecter ce qui a du sens, de la valeur (et pas seulement marchande, mais également ce qui représente un patrimoine au sens repère collectif, signal, éléments distinctif d'un quartier, d'un lieu, ou qui est inscrit dans la mémoire collective sans pour autant être un chef d’œuvre d'architecture ou de construction, etc...)
Cette phase d'analyse, d'archéologie presque, qui peut aussi passer par des échanges avec d'anciens utilisateurs, est nécessaire pour pouvoir "trier" et faire la part des choses.
Oui, on peut utiliser avec subtilité et nuance des éléments de patrimoine pour leur faire prendre un nouvel axe, une nouvelle utilité, un nouvel usage, et surtout, leur permettre de donner une image qui a du sens, et du contenu. Donner à voir (en quelque sorte) quelque chose d'important qui rattache à hier, sans pour autant se complaire dans la nostalgie et le passéisme.
Un truc pas froid et impersonnel, quoi.
Genre 33 à 60 étages tous pareils...
Le problème, c'est qu'on a très peu de concepteurs (et en particulier des architectes) disposés à s'intéresser à cette approche, qui n'est enseignée nulle part. On est très peu à appréhender cette dimension, et on travaille finalement sur les mêmes supports et dans un état d'esprit proche des explorateurs urbains (URBEX) qui investissent sans toucher les lieux en deshérence.
On est très peu en France, parce ce que ce ne serait "pas rentable" : on ne peut quasiment pas modéliser simplement et travailler ces éléments avec un PC...
Et c'est vrai aussi qu'entre faire rentrer une mini pelleteuse quelque part, qui va tout plier en tas en une 1/2 journée, et faire intervenir des entreprises pour démonter, découper, isoler, travailler à la petite cuillère et au ciseau à broder, il y a un prix différent en face.
Et ça, ne pas le prendre en compte, c'est aller dans le mur direct, et balancer son client avec.
Il faut donc ajuster au plus pertinent entre les divers paramètres...
Alors pour les prisons de Lyon, on a en plus un aspect important, mais qui n'est pas pris en compte ou quasiment pas : le vécu du lieu, son histoire. Parce qu'on a quand même une sorte d'imprégnation des murs avec des histoires bien compliquées, des comportements lourds ; on sent bien que le lieu n'est pas paisible.
Donc que faire ? L'architecture est en elle même très typée : le plan rayonnant est une curiosité en soit, les procédés constructifs mis en œuvre ainsi que les matériaux (pierre dorée, pierre de Hauteville, et probablement aussi de St Paul 3 Chateaux pour certaines pièces) sont de grande qualité. L'usage qui en a été fait, et l'entretien (ou son absence d'entretien) a conduit à un aspect dégradé et repoussant selon nos critères et nos habitudes.
Cependant, il faut regarder au delà de la crasse, de la décrépitude, des éraflures, emplâtres et rapetassages divers et considérer la volumétrie potentielle. Ce qui a été fait, apparemment.
Après, dans le cadre du projet, il y a nécessairement un cahier des charges à faire rentrer dans l'existant. Et la démarche est très différente de la conception d'un projet ex nihilo sur un terrain plan, vierge, et dépourvu de contraintes.
Les outils à disposition des concepteurs aujourd'hui, sont quasiment tous basés sur la logique d'imbrications de parallélépipèdes ; tous les logiciels gèrent parfaitement bien les intersections, les raccords, et toutes les interfaces... entre objets perpendiculaires. Et ce, très rapidement...
Dès qu'on sort de la perpendiculaire, cela prend plus de temps... et c'est aussi un poil plus compliqué. Donc, cela s'éloigne aussi des impératifs de rentabilité assignés à chaque projet : aucune agence n'a la possibilité aujourd'hui de faire des projets "pour la gloire", en clair des projets qui ne financent pas les frais de fonctionnement et la paye du personnel.
Voila voila, ces quelques réflexions à l'emporte pièce, en attendant un truc plus complet ...
