Transports
Renaud Lagrave, vice-président de Nouvelle-Aquitaine sur la réforme de la SNCF : « On va à contresens de l'histoire »
Vice-président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine en charge des transports, Renaud Lagrave jette un regard inquiet sur la réforme ferroviaire qui s'annonce. « On va à contresens de l'histoire», juge-t-il, dans un dossier de deux pages, à retrouver dans notre édition du jeudi 15 mars.
Un cri d'alarme. l'annonce, mardi, de la suspension de la circulation SNCF entre Limoges et Angoulême a poussé, ce mercredi, la région à réagir, dans un communiqué sur « l'état alarmant du réseau ferroviaire régional ». La collectivité « appelle à un engagement fort du gouvernement ».
« La dynamique de croissance du trafic en Nouvelle-Aquitaine - 10 % de trafic-voyageurs en plus en 2017 - est aujourd'hui menacée par un réseau obsolète "à bout de souffle", indique le communiqué. Les trains régionaux néo-aquitains subissent ainsi 30 % de plus d'irrégularités liées aux défaillances d'infrastructures par rapport au reste de la France. »
« La région Nouvelle-Aquitaine attend la concrétisation urgente des annonces du Premier ministre, qui a rappelé que la loi d'habilitation pour un nouveau pacte ferroviaire "n'est pas une réforme des petites lignes", ajoute le conseil régional. La région Nouvelle-Aquitaine attend un engagement fort de l'État pour définir le calendrier des travaux nécessaires à la pérennisation du réseau, garantir son financement et sa réalisation.
Contacté, lundi dans le cadre de notre enquête sur la réforme ferroviaire à retrouver ce jeudi 15 mars dans Le Populaire du Centre, le vice-président de la Région en charge des transports, juge que le risque est d'aller « à contresens de l'histoire ».

Quel regard posez-vous sur la réforme ferroviaire ?
« La seule base pour l'instant, ce sont les deux rapports Spinetta et Duron, rendus publics. Pour dire la vérité, ces deux rapports dormaient dans les tiroirs de Bercy depuis plusieurs années. Notre première inquiétude, c'est que ces deux rapports remettent en cause d'un point qui faisait consensus jusqu'à présent : le report modulaire, aussi bien dans le transport de marchandises que de voyageurs. Le train, c'est quand même le meilleur moyen d'éviter la pollution. On parle beaucoup du covoiturage, mais le train l'a inventé il y a 150 ans. »
« Charge aux régions de faire le sale boulot »
« Si on rentre dans le détail, l'ouverture des données au public, la transparence, la reprise par les régions du système d'information aux voyageurs, ça me va. Mais on ne peut qu'être inquiets en ce qui concerne les lignes 7 à 9, les fameuses "petites lignes". Ça représente 60 % du réseau régional. Alors, on nous dit qu'on ne les abandonne pas. Mais c'est une vision depuis Paris. Charge aux régions de faire le sale boulot. »
Ça fait penser à la pub "A nous de vous faire préférer le train". Mais là, c'est plutôt "A nous de faire préférer le bus, les camions, la voiture"...
« Dans le rapport Duron, on décrit trois scénarios, avec des investissements de 20, 40 et 80 milliards d'euros. Actuellement, on s'oriente vers le deuxième scénario. Mais le compte n'y est pas. Cela correspond à 10 millions d'euros par jour, mais pour être clair, il en faudrait un par jour rien que pour la Nouvelle-Aquitaine. S'il n'y a pas de nouveaux moyens, je ne vois pas bien comment éviter les difficultés. Quel que soit le scénario, le projet de grande vitesse au sud de Bordeaux est abandonné, alors qu'on ne peut plus faire circuler un seul train de plus. La dernière difficulté, c'est qu'on a aucune visibilité sur la question du fret et notamment l'alimentation des ports. Quand vous liez les deux rapports, ça fait penser à la pub "A nous de vous faire préférer le train". Mais là, c'est plutôt "A nous de faire préférer le bus, les camions, la voiture"... »
Quel impact la fermeture des lignes pourrait avoir en Limousin ?
« Sur le Limousin, il restera le POLT. Les autres lignes, c'est du 7 à 9, des petites lignes. On nous explique qu'il faut privilégier les transports du quotidien, mais ça laisse deux choix pour les lignes peu fréquentées : soit on ferme et on arrive à un désert ferroviaire, soit on continue l'offre mais avec un service meilleur. Aujourd'hui, le service n'est pas à la hauteur. Beaucoup de citoyens boudent le train, mais le service était là, avec des vitesses pas limitées à 60 km/h, beaucoup le prendraient à nouveau. »
Mais cela dépend aussi de l'état du réseau. Or certains travaux, votés par la Région, ne sont pas mis en chantier. Quels sont vos rapports avec SNCF Réseau ?
« On a plusieurs problèmes. En 2015, les trois anciennes régions avaient signé trois contrats de plan Etat-région (CPER). Certains travaux étaient prévus, mais aujourd'hui, SNCF réseau nous dit qu'elle ne peut pas tenir ses engagements. Elle nous dit : « Je ne ferai plus que les travaux qui engendre des économies de coûts de maintenance. » Là où des dizaines de millions d'euros étaient prévus, on va revenir à des sommes dérisoires.
Le deuxième problème, c'est qu'en tant que région, on paye un péage sur les trains, qui représente 60 millions d'euros par an. C'est censé alimenter la rénovation. Mais aujourd'hui, nous sommes incapables de savoir où va l'argent et à quoi il sert. C'est le réseau seul qui décide. »
La philosophie des rapports Duron et Spinetta, c'est de dire « puisqu'il n'y a plus d'argent, arrêtons tout ». Mais ce sont des investissements d'avenir, pas de la spéculation.
Renaud Lagrave (vice-président de la Région en charge des transports)
« Enfin, nous avons mené un audit qui a conclu que 1,2 milliard d'euros de travaux étaient nécessaires sur la région. Il y a des lignes, depuis 1960, elles n'ont pas été rénovées. Il y a un déficit de maintenance à la SNCF depuis une cinquantaine d'années et on ne peut pas laisser dire qu'est à cause de l'argent mis sur la LGV. La philosophie des rapports Duron et Spinetta, c'est de dire « puisqu'il n'y a plus d'argent, arrêtons tout ». Mais ce sont des investissements d'avenir, pas de la spéculation. Alors que la France a signé la COP 21, qu'elle fait pression pour que les autres pays signent la COP 23, il faudrait faire le ménage chez nous d'abord. Parce qu'on va à contresens de l'histoire. »
Que pensez-vous de la privatisation annoncée par les syndicats ?
« Déjà, il ne s'agit pas de privatisation, mais d'ouverture à la concurrence. Ce n'et pas tout à fait la même chose. La date de 2023 et l'application des textes européens étaient prévus depuis un petit moment. On peut pas dire qu'on le découvre. L'Allemagne y est passe depuis quinze ans. La question qui se pose, c'est : est-ce que l'ouverture à la concurrence va permettre d'améliorer le service ?
On aura peut-être des rames avec du café et du wifi, mais si les infrastructures ne permettent pas aux trains de rouler à la vitesse nominale prévue, de ne pas arriver en retard, voire de ne pas être annulés, ça ne servira à rien. L'ouverture à la concurrence, ce n'est pas l'alpha et l'oméga. »
« Si SNCF Mobilités ne se réforme pas, l'offre passera par d'autres opérateurs »
« Ensuite, s'il y a ouverture à la concurrence, il faudra voir les conditions d’exploitation, les centres de maintenance. Si d'ici à 2020, SNCF Mobilités ne se réforment pas pour avoir des trains à l'heure, l'offre passera par d'autres opérateurs. Mais encore faut-il qu'ils viennent. Après si on pouvait s'occuper de la qualité de l'offre d'ici là, j'en serai le premier ravi. »
Dans le cadre des négociations sur la convention TER, prévoyez-vous de recourir à différents lots, ce qui inquiète les syndicats ?
« On est effectivement en train de signer une nouvelle convention car la précédente arrive à échéance à la fin d'année. On a jugé qu'il serait souhaitable d'avoir une offre par ligne. A l'intérieur de l'enveloppe, on a donc demandé des réponses un peu territorialisées. Si demain, on a la possibilité d'avoir une ouverture à la concurrence, il faudra qu'on puisse les isoler. On a demandé des éléments sur les coûts, mais à la fin, ce sera une convention unique. Pour l'instant, de toute façon, on n'est pas dans le cadre d'un appel d'offres. La loi nous lie par convention à la SNCF. »